vendredi 17 septembre 2010

Les clés des champs


Elles sont mes compagnes au quotidien. Les seules dont je connaisse en permanence l'emplacement.

La légère meurtrissure de leurs dents acérées, parfois éprouvée sur ma cuisse à travers la doublure du pantalon, suffit à me rassurer quant à leur proximité, leur fidélité.

Si ce n'est pas le cas, il me suffit de tâter le renflement qu'elles créent au niveau de la poche de mon jean pour calmer ma conscience, quitte à passer pour un pervers aux yeux de la jolie fille justement croisée au même moment...


Et, s'il arrive que mes doigts ne rencontrent qu'une poche plate, laissée vide par mes clés quelque part oubliées - car c'est bien d'elles qu'il s'agit, alors, il se peut qu'une bouffée d'intranquillité se mette brutalement à m'échauffer les tempes et les idées...

Elle est étrange, cette relation entretenue avec ces petits objets métalliques dont dépend une part importante de la vie quotidienne!


Et puis, un matin pas comme les autres, c'est le schisme, la scission, bref : la séparation. Du jour au lendemain ou presque, de ces cinq clés qui m'ont accompagné durant des années, la petite clé de la boîte aux lettre s'en va avec ses deux grandes soeurs, celles de l'appart : la crantée, plate et blanche, à tête ronde et la bénarde, jaune et longue.

Remises au proprio avec cet autre jeu, le double, l'anonyme, presque inconnu tant je l'avais rapidement déposé chez l'ami fidèle, en cas d'égarement du principal, sans avoir jamais eu recours à cette option de secours. Bien qu'il soit identique au trousseau en titre, sa vision ne m'évoque rien. A mes yeux, les remplaçantes n'ont pas d'âme tant les titulaires m'étaient chères.

Les deux qui restent sont en sursis, elles le savent.. Elles ouvrent ou ferment encore parfois les portes du bureau s'il m'arrive d'être le premier ou le dernier, mais sont chahutées déjà par la présence d'étrangères, temporaires, confiées par les amis qui m'ont recueilli. Il y en a même une pas comme les autres. Elle est noire, certes, mais n'a surtout ni tige, ni panneton et pour cause : elle est magnétique et sert à déverrouiller la porte de l'immeuble. Adieu digicode que les amis, jamais foutus de retenir, redemandaient à chaque visite, coincés devant l'huis qu'ils étaient!

Dans une semaine jour pour jour, mon pot de départ achevé, mes deux dernières compagnes des quatre années passées reviendront à mon patron. Puis, après encore quelques jours, les clés temporaires seront remises aux amis, un grand merci, un au revoir, à très bientôt... Quelques larmes s'inviteront peut-être, mais la gorge nouée sera là à coup sûr, au crépuscule de mes neuf années parisiennes...

Et puis un train en aller-simple, cette fois, et enfin, un nouveau chapitre à écrire en province avec les remplaçantes ; une blanche et plate à tête triangulaire et une bénarde blanche et courte. Pas encore de clés du travail, car pas encore de travail... Cette fois, pas de double en dépôt, si ce n'est au fond du sac de ma mie, bye bye Paris!

Pas franchement les clés des champs, car mon exode parisien n'est pas citadin.
Pas forcément les clés du Paradis, j'attends de me faire un avis.
Mais à coup sûr, les compagnes d'une nouvelle aventure!


L'info dont on se fout : Adriana Karambeu entre aujourd'hui dans sa 40e année. Eh oui, la roue tourne!